Ciel ! Une puce dans mon yaourt !

(Les contes de l'Internet : petites histoires qui me reviennent. J'ai eu en effet la chance d'être aux premières loges pour observer le basculement de la France dans le numérique).

Petit hommage à mon ami Alain Grosmangin, rappelé à Dieu comme l’on dit dans nos contrées, il n’y a pas si longtemps...

La carte à puce est aujourd’hui entrée dans notre quotidien : cartes bancaires, télécartes, carte vitale, carte de décryptage de télévision satellitaire, cartes privatives d’enseignes commerciales , etc..  Mais il n’y a pas si longtemps, elle n’existait pas... Et nos «digital natives» ont peine aujourd’hui à imaginer comment pouvait-on vivre à l’époque..  Dans ces temps encore obscurs en effet, il fallait par exemple faire la queue dans votre agence de banque pour retirer du cash... Pour payer le restaurant, faire ses courses... Et les agences de banques, comme nos administrations, n’étaient ouvertes que peu de temps dans la journée... Il faut ce qu’il faut... Ils ne sont pas des boeufs quand même..

La carte a changé tout cela en permettant par exemple de retirer de l’argent à toute heure du jour ou de la nuit.. Mais cela ne c’est pas fait en un jour.. 
Petite histoire rigolotte qui m’est arrivée, au début de la mise en marché de la carte à puce..

Roland Moreno, ex-employé aux écritures au Ministère des Affaires sociales (c’est à noter ! comme quoi être fonctionnaire laisse du temps pour inventer...), Roland donc invente la puce en 1974. Son idée consistait à intégrer dans l’épaisseur d’une carte plastique, un circuit intégré. A savoir un microprocesseur doté d’un connecteur extra-plat permettant une connexion facile avec des matériels extérieurs (lecteurs par exemple à une caisse de supermarché; distributeur de billets : les fameux DAB; etc..). Le tout étant en principe hautement sécurisé.

Au début des années 1980, Bull, Philips et Schlumberger font les premières expériences de cartes de paiement.

A la Compagnie Bancaire où j’exerçais mes modestes talents, je suivais cela de très près. Mes amis du Cetelem, fleuron du groupe Compagnie Bancaire, avaient en effet lancé en 1985 leur carte Aurore, qui est une carte de crédit revolving. Simple carte cartonnée si je me souviens au tout début, plastifiée ensuite.
Et à suivre un peu toutes ces expériences qui se passaient de-ci de-la avec la puce, nous étions quelques uns à nous demander s’il ne fallait insérer une puce dans la carte Aurore.. Comment ? Pourquoi quels services ? Quels coûts ?

Un jour donc, avec mon ami Alain Grosmangin, nous avions pris rendez-vous chez Bull pour essayer d’en savoir plus.... Cela devait être dans les années 86-87.
Alain était à l’époque «l’homme de la télématique» Cetelem. Grâce au Minitel que les commerciaux du Cetelem avaient installé dés 1983 dans les magasins qui distribuaient ses solutions de crédit, le Cetelem avait quasiment doublé sa part de marché en l’espace de 2 ans ! Comme quoi il faut faire très attention aux évolutions technologiques (cela fera l’objet d’un prochain «Conte de l’Internet»). Alain ne parlait pas beaucoup. Il ponctuait généralement une conversation par un «ouais» sympathique. Mais il ne détestait pas cependant de temps à autre commenter un thème dans une conversation, voir même donner son avis. En rallumant une cigarette. Car il fumait beaucoup. Cigarette sur cigarette. Il fumait tellement que cela commençait à enfumer le Paradis. Dieu le Père, qui commençait à toussoter avec cette fumée, se dit dans sa grande sagesse, qu’il faudrait le rappeler à lui le plus tôt possible. Avant qu’il n’enfume complètement son Elysée. Il chargea donc de la chose son responsable Sécurité, Nicolas Tine, que l’on appelait familièrement Nico dans les allées paradisiaques du Jardin d’Eden. Nico avait pris sont temps : Alain nous a quitté il n’y a pas si longtemps.

La «business unit», comme on dit maintenant de Bull dans le domaine de la carte se trouvait à Trappes en grande banlieue parisienne...  Elle était dirigée par Hervé Nora (à ne pas confondre avec Simon Nora du rapport Nora-Minc) et son assistante Victoire Chaumont, très connue dans le milieu de la carte à puce à l’époque..
Je ne me souviens plus si Hervé était venu nous saluer.. Toujours est-il que Victoire nous a expliqué ce qu’il en était. Le comment, le coût, les usages, les marchés... Qui étaient les premiers clients ? Etc..
Comme l’heure avançait dans la matinée, elle nous a gentiment invité à déjeuner à la cafétéria de l’entreprise. Et pour nous montrer l’un des usages possibles de la carte à puce, elle nous avait fait établir à chacun une carte à puce pour rentrer au restaurant en tant qu’invité par elle. Mais les collaborateurs de Bull, qui avaient aussi chacun une carte, payaient réellement. Plus besoin de tickets sur support papier, de trucs cartonnées et autres bidules tout aussi exotiques pour se restaurer dans les cafétérias d’entreprises..
Bref, déjeuner sympa... Et pour une fois, mon ami Alain est sorti de sa réserve habituelle, et a posé des tas de questions à Victoire pendant le déjeuner. Comme je n’avais pas à soutenir la conversation et que je le sentais intéressé par le sujet (effectivement si des décisions étaient prises au Cetelem c’est probablement lui aurait été chargé de la mise en oeuvre), je me suis donc bien gardé d’intervenir. J’avais fait mon boulot: repérer la technologie émergente qui aurait pu nous être utile, trouver la personne idoine dans le domaine, et mettre en relation la dite personne avec celle qui pourrait être la plus intéressée dans ma société. Ce dernier point n’était d’ailleurs pas le plus facile..

J’ai donc pu déjeuner plus vite que nos amis. En arrivant au dessert : un yaourt, je me suis dit qu’il serait plus poli d’attendre, vu qu’il en étaient encore au plat principal. J’avais ouvert le pot de yaourt... Et pour passer le temps, je me suis à inspecter sur toutes les coutures la carte à puce de Bull... Et en testant la rigidité de la dite carte en la ployant, la puce est sortie de son logement. Et après un joli saut de puce, a atterri ... dans mon yaourt...
Alain, comme a son habitude resta de marbre, avec une tête toutefois qui montrait qu’il gloussait intérieurement. Victoire, elle, devint blême...  Car le groupe Compagnie Bancaire pouvait être pour Bull un gros marché... Et nous dit, que le technicien qui avait mal serti le micro-processeur entendrait parler du pays...

Comme quoi la mise en marché d’une nouvelle technologie dans les sociétés humaines n’est pas si simple que cela.. Non seulement il y a des problèmes d’usages, des freins divers et variés, des gens qui n’ont pas intérêt à ce qu’une nouvelle technologie se mette en place, mais en plus, il y a des points de colle qui ne tiennent pas... Je ne sais pas trop si au Paradis d’aucuns inventent aussi des trucs... Enfin, si vous y allez avant moi, demander donc au guichet à rencontrer Alain (à la différence des banques le guichet du Paradis est toujours ouvert) ... Dites que vous me connaissez, il vous racontera comment cela se passe chez Dieu le père, et vous proposera sûrement un p’tit business... Merci de ne pas lui offrir de cigarettes...

La prime de secrétariat....

(Je commence ici "les contes de l'internet"... à savoir le récit de quelques souvenirs personnels... J'ai eu en effet la chance d'être aux premières loges pour observer le basculement du pays dans le numérique...)

Novembre 1985..

J’étais revenu depuis 3 semaines d’un long périple aux USA sur le thème du commerce électronique qui commençait déjà à poindre son nez Outre-Atlantique. Notamment, avec des bornes à base de vidéodisque... J’avais ainsi assisté à Orlando en Floride au premier congrès américain sur «l’electronic commerce» organisé par Thomas Rauh.. J’y étais allé naturellement avec l’assentiment de mon responsable hiérarchique : Gérard Senouillet, directeur de la Planification de la Compagnie Bancaire. Polytechnicien émérite (X Armement), il était venu pantoufler dans le privé, en espérant peut-être prendre un jour la direction de cette honorable Compagnie, où j’ai exercé mes modestes talents pendant une bonne trentaine d’années...
Il m’avait laissé partir aux USA, en se demandant s’il faisait bien, car le commerce électronique en 1985 : on n’en parlait pas beaucoup... C’est le moins que l’on puisse dire... Surtout pas, en tout cas dans les dîners en ville de Polytechniciens...

Bref, j’étais rentré en France, persuadé que cette activité allait certainement se développer... Et je me suis à rédiger mon rapport...

Un matin donc de novembre 1985, la secrétaire de mon boss m’appelle : «Monsieur Senouillet veut vous voir !...»
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’avais toujours un peu d’appréhension quand une secrétaire de chef m’appelait pour me dire que le dit-chef voulait me voir... On se sent toujours un peu en faute... Et un tantinet stressé...
Bref, en enfilant précipitamment ma veste je me rendis d’un pas pressé au bureau du chef.. En essayant de me remémorer en chemin quelles bêtises j’avais pu commettre... A part le rapport sur mon voyage d’études que je n’avais pas fini, je ne voyais rien... Ce qui augmenta mon stress... Pourquoi donc voulait-il me voir ? Nous avions des réunions régulières où je lui rendais compte de ce que je faisais... Je ne voyais pas. Pas du tout... Mais que me voulait-il ?

J’arrive au bureau de la secrétaire... «Il vous attend» me dit-elle, tout en continuant de taper sur sa machine à écrire électrique à boule, en me désignant du menton la porte de communication entre son bureau et celui du chef.. Le chef était en effet assis derrière son grand bureau, le visage fermé, derrière des lunettes demi-lune... En train de lire une note... Toujours bien habillé le chef : costume bleu à petites raies blanches genre IBM Grande Epoque, chemise bleue à col blanc genre «Paribas Senior Banker», cravate de couleur sombre, genre Karl Lagerfeld période bleue. L’ensemble rendait bien... Très bien...
Il me regarda au-dessus de ses lunettes demi-lune, en se basculant en arrière sur son grand fauteuil de cuir marron : «Fermez la porte Billaut et asseyez-vous, je suis à vous dans quelques instants»...

Je me suis assis sur le bord du siège... Il n’y avait pas grand chose sur sa table de travail... Au plus, quelques piles de documents et de revues sur la grande table de réunion... C’est à cela que l’on reconnaît le bureau d’un vrai chef... Rien ou presque sur le bureau. Et un annuaire des anciens de l’école Polytechnique qui traînait négligemment sur l’armoire basse derrière lui...
Il continua sa lecture...  Mon stess augmentait...  Mes glandes surrénales continuait de produire des quantités importantes d’adrénaline...
Enfin, Monsieur Senouillet, se remit d'aplomb d’un coup de rein - les chefs ont aussi de très beaux coups de reins - en position normale sur son siège... pour griffonner quelque chose sur la première page de la note... J’eu une pensée émue pour l’auteur de la note... Il avait probablement dû oublié quelque chose... Heureusement quand même qu’il y a des chefs...

«Alors, me dit-il en reposant son beau stylo Mont Blanc, vous savez qu’il est interdit d’acheter un matériel en demandant au fournisseur d’établir plusieurs factures pour couvrir le prix de l’achat... ? Vous savez que c’est une cause de renvoi «de nos maisons» ?»... (on employait souvent cette expression grand siècle dans notre Groupe, vu que la Compagnie Bancaire était une collection importante de filiales...)

J’y étais ! Mon stress diminua d’un coup : je savais maintenant pourquoi il m’avait fait appelé... Mais le stress ré-augmenta aussitôt au mot «renvoi», le temps que les glandes surrénales se remettent à produire, et que l’adrénaline atteigne les neurones concernés...Et soudain, je me vis rentrer à la maison en annonçant à Madame Billaut que j’étais renvoyé pour faute professionnelle...

La comptable avait cafté !... J’avais en effet acheté de mon propre chef un Macintosh d’Apple quelques mois auparavant. Le Mac était sorti en 1984. J’en avais acheté un mi-1985. Comme en tant que Fondé de Pouvoir je n’avais la signature que jusqu’à 5.000 francs de l’époque, et que le Mac coûtait quelque chose comme 30.000 francs, le distributeur (un ami qui sortait avec une fille Servan Schreiber - vous savez le Plan Informatique pour Tous ?), le distributeur donc, avait accepté de saucissonner le prix en plusieurs factures... Au-dessus de 5.000 francs, il me fallait en effet une contre-signature du chef. Et avec juste raison, je pensais qu'il me l'aurait refusée (j'aurais certes pu demander à un autre chef, mais l'opération était compliquée...).

La comptable (qui fumait la pipe - une pipe en terre) avaient reçues les dites factures pour règlement. Et en avait parlé à mon chef...

Le chef continua de plus belle. «De plus, Billaut, ici on ne s’amuse pas. Les micro-ordinateurs que nous achetons sont des IBM PC et pas des «supports à pot de fleur» comme dit Michel Riboust, le directeur informatique du Cetelem (l’une de nos maisons)... Double faute Billaut..»

J'avais certes eu raison de ne pas demander de contre-signature.. mais je ne savais plus où me mettre... Je lui ai assuré de ma bonne foi et pour essayer de remonter la pente, je lui ai dit que j’allais lui transmettre sous peu un gros rapport sur le commerce électronique aux USA, rapport tapé par mes soins sur le Mac incriminé... Et pas par ma secrétaire sur sa machine à écrire à boule... Réflexion faite, je n’aurais pas dû faire cette sortie...

«Faute encore plus grave Billaut... On ne vous paye pas pour taper à la machine...»

Bref, après m’avoir passé un gros savon derrière ses lunettes demi-lune, il me dit de ne plus y revenir, et me renvoya dans mes foyers. Pardon dans mon bureau... Et en partant, quand j’ouvris la porte, il me dit d’un air goguenard (si tant est qu’un polytechnicien peut avoir un air goguenard)... «Rappelez-moi, Billaut de vous faire attribuer une prime de secrétariat !»...

Je n’ai jamais eu cette prime, mais j’ai gardé mon Mac. Et j’ai commencé à le montrer à mes collègues. Qui naturellement en ont tous voulu un... 1 an plus tard, 25% du parc de micro-ordinateurs de la Compagnie Bancaire étaient des Macintoshs, au grand dam des informaticiens normaux (de type 1.0).

Beaucoup plus tard j’ai revu à un pot Gérard Senouillet, qui depuis était parti à la retraite... On a évoqué quelques souvenirs... «Vous voyez Billaut, je vous l’avais dit pour le Macintosh, cela a été un grand succès dans «nos maisons» !".
De temps en temps, les petites gens doivent toujours rendre à César ce qui ne lui appartient pas...


Chirac : Mr Girardier, donnez donc votre carte de visite au Président Bébéar, il se fera un plaisir d'investir dans votre startuppe...

Conte n°2

En ces temps reculés où l'Internet était encore dans l'enfance, il était d'usage au début de l'An neuf, que le Roi de France recoive en son château ... Le Roi de France  ???
Que dis-je... Je radote... Il y a déjà bien longtemps qu'il n'y avait plus de Roi, mais un Président. Oui, c'est cela : un Président du Royaume !... Donc le Président recevait en son bel Elysée, les Forces Vives de la Nation pour leur présenter ses meilleurs voeux pour l'An Nouveau. Je n'avais d'ailleurs jamais très bien compris l'expression "forces vives"... A croire que ceux qui n'étaient pas invités étaient des mécréants peu industrieux et peu soucieux du bien commun... Mais soit...
Or donc, il advint que je fusse invité à cette cérémonie grandiose... Cela devait être en l'an de grâce 2001...
Honneur insigne, allez vous dire... Moi qui suis d'une famille où les mâles sont serfs de père en fils sur les terres du baron P..... Ayant revêtu mes plus beaux atours, je m'y suis donc rendu derechef. Quel bonheur de voir de près ces Grands du Royaume, chamarrés d'insignes diverses mais néanmoins discrètes, descendant de leur magnifique carosse, se congratulant ici et là d'une voix fluttée et mélodieuse, ciselée dans les moindres intonations...
A ce que j'avais compris, j'étais invité comme "force vive" pour mon action en faveur du développement de l'Internet dans le Royaume républicain... Un motard de belle prestance était venu apporter le carton d'invitation quelques jours auparavant... Ce qui avait beaucoup ému les dames de l'Atelier...
Imaginez mon émoi, quand mes belles chaussures, achetées en solde chez Florsheim à New-York, ont fait crissé la mignonette de la cour de l'Elysée... En montant le perron, j'eu soudain une pensée pour ma maman.. Sainte femme s'il en fût, qui me disait toujours quand je ramenais des carnets de notes déplorables de l'Ecole de Jules Ferry :" Mon p'ôve petit, tu ne seras jamais un Haut Fonctionnaire"...
Je rentrais donc dans le palais, trés fier de moi, faisant en pensée un petit pied de nez filial à ma maman... qui n'en doutons pas devait être en Paradis...
Déjà beaucoup de monde... On me fit entrer dans la salle des Fêtes du Château...
Et là surprise... Le long des murs de cette magnifique salle rectangulaire, des espaces avaient été délimités par de gros cordons en velours couleur Ancien Régime. Et devant chaque stalle, une pancarte indiquait que l'endroit ainsi délimité était réservé qui aux banquiers, qui aux agriculteurs, celui-çi aux syndicalistes, celui-là à Messieurs des Corps Constitués, etc... Ils étaient tous là. Chaque grande catégorie sociale avait son parc... Je cherchais désespérant la stalle Internet, quand je suis tombé sur une petite volée de galopins qui avaient créés leur startuppe... Intrigués de nous voir en si haute compagnie, nous nous souhaitâmes bonne année...
Quand tout à coup... on annonçât le Président... Prestement, nous nous glissâmes dans le fond de la première stalle venue (car naturellement il n'y avait pas de parc Internet)... Celle réservée aux industriels (je me suis trouvé derrière Mr Lagardère et Beffa...).
Chirac arriva, flanqué d'un sombre Jospin. Le Président fit un discours que l'Histoire ne retiendra pas... Et je compris ensuite pourquoi nous étions parqué de cette façon... Chirac, après son discours que l'Histoire ne retiendra pas, fit le tour des stalles pour serrer la main à chaque force vive et lui souhaiter une bonne année...
En attendant notre tour dans notre recoin, les galopins reprirent leurs conversation, là où ils l'avaient laissée... " Alors, comment cela va-t-il ? Ah bon ! Tu es déjà à ton deuxième tour ? T'as lâché combien de ton capital ?"...
J'entendis soudain une espère de chuintement sur ma droite... Le parc d'à côté était celui des anciens combattants... Ils n'étaient que 3 ou 4... Et celui qui tenait la hampe du drapeau, s'était tout simplement effondré dans un bruit discret, son camarade retenant le drapeau...
Vous me connaissez...N'écoutant que mon courage, je passais prestement sous le cordon de velours Ancien Régime pour aller porter secours au sauveur de la Nation... Quand une forte poigne me saisit à l'épaule...
Une voix non fluttée me sussurât à l'oreille "Laissez Monsieur, nous avons l'habitude, c'est la chaleur"... Je me retournais... C'était un magnifique pompier de Paris tout de bleu vêtu avec des bottes de cuir... Il fit un signe à ses collègues planqués derrière un grand rideau rouge... L'un arriva avec une civiére, l'autre avec une bouteille d'oxygène et son masque... Le temps que je revienne dans mon camp, les pompiers avaient embarqué le sauveur de la Nation. A part moi, personne n'avait rien vu. Les galopins parlaient toujours de ROI... J'étais quand même un peu retourné par ce qui venait de se passer, mais je n'eus guère le temps d'approfondir mes sentiments. Le Président et sa suite, tel un lourd zéphir secouant nonchalamment les blés d'été, approchait.. Je lui serais la paluche, respectueux que nous sommes dans ma famille du suffrage universel.. Le Président semblât me reconnaître : j'avais en effet été invité a quelques réunions de travail élyséennes.

Et puis, débandade... le buffet est ouvert... Je dois dire que le buffet de la Présidence de la République est quelque chose de somptueux : Louis le 14ème ne devait pas avoir mieux et je pense y avoir récupéré une bonne partie de mes impôts. Champagne rosé dignement frappé, petits fours exquis... Et à la mezzanine, journalistes et caméramens s'affairaient pour immortaliser ces instants grandioses. Bref, nous étions heureux...
Et je continuais de papoter avec mes petits camarades sur la e-conjonture, quand un grand escogriffe tout de noir vêtu et portant fièrement une chaîne d'argent au cou, vient dire aux galopins d'un air pincé : "Le Président voudrait vous saluer, veuillez me suivre"...
Poursuivant ma conversation avec l'un d'eux... je suivais...
Et Chirac fut là... Il nous saluât, et je restais prudemment en arrière... Il demanda à l'un d'entre eux que je ne connaissais pas... "Alors Monsieur Giradier que faites-vous ?"
"Et bien notre société, Monsieur le Président, fait de la géointelligence"...
"Ah! répondit Chirac, qui ne se démontait pas pour autant. Cela consiste en quoi ?"
"Et bien, supposez Monsieur le Président que vous êtes une compagnie d'assurance, et que vous désireriez connaître par agence où se trouvent géographiquement vos clients, et surtout quel est votre potentiel de marché dans la zone...
"Ah, je vois dis Chirac, qui comprenaient vite ce genre de chose... Peut-on utiliser vos techniques dans le domaine politique ?"

Giradier n'eut pas le temps de répondre (la réponse est oui naturellement)... Car à ce moment-là passait à côté de notre petit groupe, Monsieur Bébéar qui faisait un sort à une assiette de petits fours exquis...
Le Président interpella Bébéar...
"Dites-moi Monsieur le Président (Bébéar est aussi Président mais dans un autre domaine - vous suivez ?), savez-vous ce qu'est la géointelligence ?
Pris au dépourvu, et surtout la bouche pleine d'un petit four exquis, le Président (pas lui , l'autre - suivez je vous prie...) fit signe que non...
Et Chirac lui fit l'article de belle façon... Voilà ce qui s'appelle un bon commercial. La République a à sa tête un commercial hors pair, je puis vous l'affirmer...
Chirac ayant de la suite dans les idées, continua... "Monsieur Girardier, donnez donc l'une de vos cartes de visites à Monsieur Bébéar..."(faut tout leur dire à ces galopins..)... Et se tournant vers Bébéar : "Je crois que votre groupe devrait investir dans la startuppe de Monsieur Giradier..." Voilà une affaire promptement menée...

Et puis, au gré des rencontres avec une coupe de champagne à la main, j'ai eu le plaisir de rencontrer l'ex Melle Chopinet (maintenant Duthilleul-Chopinet)  major de polytechnique en 1972, à l'époque conseillère à l'Elysée. Je lui faisais part de mes inquiétudes concernant le haut débit en France : le Président ne devrait-il pas initier une politique beaucoup plus incitative ?
Et là, l'ex Melle Chopinet me fit une grande leçon de politique... "Vous savez me dit-elle, le Président est le Président de tous les Français. Il prend donc l'avis de tout un chacun... des agriculteurs aux syndicalistes, en passant part les banquiers, les associations représentatives, etc..."
Je n'insistais pas... J'étais un peu dans mes petits souliers... Vous vous rendez compte : je discutais presque d'égal à égal avec une major de la plus grande Ecole de France (ma maman préférait l'Ena, mais mon papa préférait l'X  - mais compte tenu de mes notes à l'école communale de la République je ne fis ni l'une ni l'autre...).
Je me disais néanmoins en moi-même en écoutant la docte dame : "Heureusement que De Gaulle n'a pas commencé par prendre l'avis de tout le monde avant de lancer son appel de Londres... nous y serions encore..."

Voilà. Pendant quelques heures j'ai été une force vive de la nation... Bébéar n'a jamais investi dans Asterop, mais Giradier m'a fait l'amité de me mander à son conseil... Et je n'ai jamais plus été invité à la cérémonie des voeux aux Forces Vives... Mais qui sait ?

 


Conte de l'Internet n°1

Download contes-internet1.doc

Vous trouverez dans le fichier joint le 1er conte de l'Internet : " Où quelques Gaulois égarés au pays du Soleil Levant découvrent la vraie ponctualité, les ancêtres des robots animaloïdes, ainsi que les premiers e-wc".

Bonne lecture

Le conte n°2 devrait paraître un de ces jours... "Chirac : Monsieur Giradier, donnez donc au Président Bébéar une carte de visite, il se fera un plaisir d'investir dans votre start-up"