(Les contes de l'Internet : petites histoires qui me reviennent.
J'ai eu
en effet
la chance d'être aux premières loges pour observer le basculement de la
France dans le numérique - Ce conte-ci n'est pas de moi, mais de Laurent EDEL qui a oeuvré avec moi à l'Atelier et a fondé par la suite Republic Alley. Je le remercie d'avoir pris le temps
de mettre par écrit ses souvenirs - je lui laisse le clavier).
- « Monsieur Billaut, si je vais à New-York pour un salon Internet, ça
vous intéresse que je vous fasse un compte-rendu ? »
- « Ben oui » répondit-il.
- « Et si je me loge à mes frais, vous
financez le billet d’avion ? »
- « Ben oui » répondit-il.
Juin 1995. J’assiste aux ateliers de l’Atelier
de la Compagnie Bancaire (maintenant Atelier de BNP Paribas) pour me faire une culture internet. En échange d’un reportage pour son Journal
de l’Atelier, Jean-Michel Billaut, le fondateur de cet Atelier, accepte de
sponsoriser mon voyage d’initiation aux Etats-Unis. Avec Jean-Michel, tout est
(le plus souvent) possible. Je lui dois deux de mes plus belles années
professionnelles.
Souvenirs, souvenirs…
De l’autre côté de l’Atlantique à New-York,
c’est l’émerveillement. Je ne suis pas à Disney Land, mais presque. Les
start-ups Internet font leur show. Les exposants (Netscape, AOL, etc… j’ai la mémoire
qui flanche) étincèlent de promesses et d’optimisme. La révolution est en
marche. Sur le babillard de l’Atelier, le dialogue se poursuit:
- « Monsieur Billaut, c’est époustouflant ».
- « Ben oui » répondit-il
- « On me parle de capital risque et de Silicon Valley. Si
je vais là-bas, pour poursuivre le reportage, vous financez le billet
d’avion ? Et l’hôtel ?
- « Ben oui » répondit-il.
De l’autre côté des Etats-Unis, c’est la
stupeur. Dix jours à interviewer les acteurs de la route 101 entre San
Francisco à Palo Alto (la fameuse One-O-One). J’écris un grand article pour le
Journal de l’Atelier. Aujourd’hui, ça semble évident, mais il y a quinze ans,
j’ai la sensation de marcher sur la Lune : « Comment les grandes
sociétés informatiques, l’université de Standford et les firmes de capital
risques donnent naissance aux start-ups ».
A mon retour à Paris, Jean-Michel propose de me
renvoyer à San Francisco : « C’est là-bas que ça se passe. J’ai
toujours voulu y installer une antenne de l’Atelier ». J’accepte avec
joie. C’est ce dont je rêvais, après une première expérience professionnelle au
Viet-Nam. J’avais besoin de marchés porteurs, de regards braqués sur l’avenir et
d’entrepreneurs cow-boys.
L’embauche par la Compagnie Bancaire prend
quelques semaines. Jean-Michel en profite pour me présenter aux patrons des
différentes filiales du Groupe qui me passent commande de leur besoin en informations.
J’ai l’impression de noter la liste des commissions à rapporter du marché. Pour
l’un, c’est comprendre l’impact d’internet sur le crédit. Pour l’autre c’est
surveiller tel concurrent. Le troisième veut surveiller l’émergence du trading
en ligne. Kleline me demande de lui trouver des débouchés (je ne suis pas sur
d’avoir réussi sur ce point).
L’installation à San Francisco est idyllique.
Je suis pris en charge par le bureau de Paribas, la prestigieuse banque
d’affaires (société mère de la Compagnie Bancaire). Elle me trouve un luxueux Bed
and Breakfast dans la Marina (l’équivalent du 16ème parisien ?), où elle a
l’habitude de loger ses collaborateurs. Il y a un même un jacuzzi dans le
jardin. Mais les malentendus culturels ont vite raison de mon logement de
fonction. Pour avoir déplacé un canapé, ce que le règlement interdisait, je suis viré ! Je gagne au change,
mon nouveau propriétaire est un très cool retraité du quartier Castro (le
Marais ?). Son citronnier en fleurs embaume mes réveils.
Jean-Michel est un patron exigeant. Salons et
foires du programme qu’il m’a concocté s’enchainent. Téléphonie et Internet à
Orlando. Immobilier et Internet à San Diego. Banque de détail et Internet à
Dallas. Etc. Quand je pose mes pénates à San Francisco, je me rends presque tous les soirs à des After
Works professionnels de la Silicon Valley. On y apprend à faire des succès
mondiaux. Ça a l’air facile. L’ouverture d’esprit et la décontraction des
californiens me marquent aujourd’hui profondément. Même Bill Gates m’accorderait
dix secondes d’attention…
Jouer au touriste ne fait pas partie de la « job
description ». Rien ne doit m’échapper. J’écris rapports sur rapports. Et
certaines nuits sont houleuses. Je ne comprends rien à la téléphonie IP. C’est
de la pure technologie, à se taper la tête contre les murs. Je ne sais pas si
les nouvelles solutions de sécurisation des paiements sont vraiment nouvelles
ou si c’est du bluff. Jean-Michel m’aide à me dépatouiller dans la jungle du
buzz High-Tech. Quand il me rend visite, il me présente à ses amis, stars de la
Vallée comme Jean-Louis Gassée, ex CTO d’Apple.
Expliquer l’Atelier de la Compagnie Bancaire
aux Américains est cocasse. Son positionnement est unique et il n’y existe
aucun équivalent. Pendant l’échange de cartes de visite, je me lance :
« Do you know The Atelier, the workshop ? No. Do you know Compagnie Bancaire ? No. Do you know Paribas ? No.
Ok, do you know France ? Yes of
course ». Ouf, l’honneur est sauf…
Diffusées au sein de la Compagnie Bancaire,
mes études sont ensuite publiées dans le Journal de l’Atelier. Jean-Michel
offre sa veille à tous, et même aux concurrents ! Partager l’information
pour être au cœur de l’information. C’est du web 2 .0 avant l’heure ! Finalement, mon expérience américaine s’achève
en queue de poisson. Au bout d’un an en visa touriste, il me faut un vrai visa.
Et là, ça coince. Tout Paribas qu’elle soit, la banque tarde à l’obtenir. Ai-je
été black listé pour avoir déplacé un canapé ?
Au sous-sol de l’avenue Kléber, dans les
bureaux de l’Atelier, j’enrage de tourner en rond. Je suis prêt à repartir aux
US sans visa. Jean-Michel essaie de me calmer : « Arrêtez de vouloir
traverser le Rio Grande à la nage ».
Tour
d’Europe
Un autre agité du bocal, habitué de l’Atelier,
Sven Lung, apporte la solution. Pour les besoins de sa start-up (Intershop), il
demande à Jean-Michel de lui monter des présentations dans différentes capitales
européennes. Un atelier européen, en somme. L’un des autres rêves de
Jean-Michel. En attendant le visa américain (qui ne viendra jamais), il me
propose de m’en occuper. Jean-Michel me présente ses amis à Milan (Monica
Unger), Genève (Geneviève Morand), Berlin (Jean-Philippe Royer) et un banquier
de Paribas à Londres (Bertrand Vallet).
Tous ensemble, nous organisons le premier
roadshow (concours de beauté) de start-ups européennes. Beaucoup de travail et
de rigolades. Le roadshow aide les jeunes pousses à se faire connaître des
médias locaux, à lever des fonds et à recruter personnel et partenaires. En un
an, nous organisons 32 évènements dans cinq capitales. Tous les deux mois, huit
start-ups embarquent pour une tournée d’une semaine. Paris, lundi. Londres,
mardi. Genève, mercredi. Milan, jeudi. Et Berlin, vendredi. Évidemment, nous ne
voyageons pas dans le jet privé de Paribas (y en avait-il un à l’époque ?),
mais en Eurostar ou sur les lignes régulières.
Chaque partenaire européen sélectionne et
propose des start-ups de son pays. Depuis, beaucoup ont disparu (le
spectaculaire Boxman ou le 00h00 d’Arbon, reconverti dans la chanson). D’autres
ont réussi (Caramail, Trading Central, ou iBazar devenu eBay France). L’une d’entre elles, NPTV est la
première start-up que j’installe dans un immeuble du faubourg du Temple (devenu
Republic Alley).
Arnaud Gougne est recruté pour m’aider à gérer
l’évènement (plus de cent invités à Paris et Berlin, une cinquantaine
ailleurs). Il vit maintenant à Montréal. Nadia Sarri est recrutée pour
continuer de rédiger les études, désormais vendus à l’unité (Nadia mène une
belle carrière d’investisseuse pour la CDC). L’anniversaire de Jean-Michel est
l’occasion de rédiger une très sérieuse enquête sur l’Internet rose (il n’était
pas au courant). Diffusé aux médias, le rapport à l’entête de la Compagnie
Bancaire fait son effet. Nous nous appuyons aussi sur le staff adorable et
dévoué de Jean-Michel : Chantal Duvigneau, Sylvie…
C’est bien connu, certaines maladies
s’attrapent en voyage. A force de côtoyer des jeunes entrepreneurs, ils m’ont
refilé le virus. A force d’évangéliser la révolution, je me suis mis à rêver de
millions et de réussite. Les sirènes de la bulle internet ont eu raison de mon aversion
pour l’entreprise et de ma licence de philosophie. A la grande stupeur de
certains dirigeants de la banque, je démissionné de la Compagnie Bancaire pour
lancer l’incubateur Republic Alley.
Merci Jean-Michel pour ce que vous m’avez transmis.
Un esprit d’aventure et d’ouverture.
Laurent Edel (mail: laurent.edel(arobase)goodfutur.com)
Contes déjà publiés sur ce blog...
La
prime de secrétariat,
Ciel,
une puce dans mon yaourt !,
"Jean
Michel, do you want to drink something ?"
Jacques
Chirac : "Monsieur Guillanton, je ne suis pas content de vous !"
Pourquoi
les honorables membres de l’EAF (Elite
Analogique Française) n’ont pas de cartes de visite ?
Bernard
Muller : «Mais qu’est-ce que c’est
encore que ces conneries ?»
Jacques
Chirac : Mr Girardier, donnez donc
votre carte de visite au Président Bébéar, il se fera un plaisir
d'investir dans votre startuppe...
André Labarrère : "Monsieur Nishida :
caressez-lui donc la fesse !"PS...
Si vous trouvez des fôttes dautaugraffe, merci de me les
signaler là où elles sont... Pas la peine de me dire qu'il y a des
foôtes, je le sais... Encore que Laurent en fait moins que moi.
Et si vous aussi avez vécu des histoires intéressantes, merci de me
dire...Et je recherche des dates (je perds des neurones). Par exemple
quand Alcatel a t il commercialisé des SMH Adrex ? etc... Des dates de
la période du 22 à
Asnières de Fernand Raynaud (1955 je crois) à Twitter aujourd'hui...
Bravo Laurent pour ce conte sympathique.
F
Rédigé par : Francois Druel | 24/08/2010 à 17:32
Tres interessant de voir l'histoire de l'internet et de Jean-Michel d'un autre point de vue.
On peut avoir ce rapport sur l'Internet rose?? :)
Rédigé par : Metabaron | 30/08/2010 à 03:10
@Metabaron..
Merci ...
Pour le rapport de netéconomie sur le rose... je ne sais pas trop... C'est probablement parti à la poubelle quand la BNP nous a racheté... Ils sont politiquement correct si vous voyez ce que je veux dire...
Mais je me renseigne...
Rédigé par : Billaut | 30/08/2010 à 08:06
Dites a Arnaud que Samuel monnery lui passe le bonjour :D
Rédigé par : samuel monnery | 06/03/2013 à 12:14