Connaissez-vous Dylan Goubin from Paris ? On peut en faire des choses à partir de la sauvegarde en ligne!
Connaissez-vous Pierre-Olivier Guérin from Chatou ? "la vie a un temps, le numérique a tout le temps..."

La prime de secrétariat....

(Je commence ici "les contes de l'internet"... à savoir le récit de quelques souvenirs personnels... J'ai eu en effet la chance d'être aux premières loges pour observer le basculement du pays dans le numérique...)

Novembre 1985..

J’étais revenu depuis 3 semaines d’un long périple aux USA sur le thème du commerce électronique qui commençait déjà à poindre son nez Outre-Atlantique. Notamment, avec des bornes à base de vidéodisque... J’avais ainsi assisté à Orlando en Floride au premier congrès américain sur «l’electronic commerce» organisé par Thomas Rauh.. J’y étais allé naturellement avec l’assentiment de mon responsable hiérarchique : Gérard Senouillet, directeur de la Planification de la Compagnie Bancaire. Polytechnicien émérite (X Armement), il était venu pantoufler dans le privé, en espérant peut-être prendre un jour la direction de cette honorable Compagnie, où j’ai exercé mes modestes talents pendant une bonne trentaine d’années...
Il m’avait laissé partir aux USA, en se demandant s’il faisait bien, car le commerce électronique en 1985 : on n’en parlait pas beaucoup... C’est le moins que l’on puisse dire... Surtout pas, en tout cas dans les dîners en ville de Polytechniciens...

Bref, j’étais rentré en France, persuadé que cette activité allait certainement se développer... Et je me suis à rédiger mon rapport...

Un matin donc de novembre 1985, la secrétaire de mon boss m’appelle : «Monsieur Senouillet veut vous voir !...»
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’avais toujours un peu d’appréhension quand une secrétaire de chef m’appelait pour me dire que le dit-chef voulait me voir... On se sent toujours un peu en faute... Et un tantinet stressé...
Bref, en enfilant précipitamment ma veste je me rendis d’un pas pressé au bureau du chef.. En essayant de me remémorer en chemin quelles bêtises j’avais pu commettre... A part le rapport sur mon voyage d’études que je n’avais pas fini, je ne voyais rien... Ce qui augmenta mon stress... Pourquoi donc voulait-il me voir ? Nous avions des réunions régulières où je lui rendais compte de ce que je faisais... Je ne voyais pas. Pas du tout... Mais que me voulait-il ?

J’arrive au bureau de la secrétaire... «Il vous attend» me dit-elle, tout en continuant de taper sur sa machine à écrire électrique à boule, en me désignant du menton la porte de communication entre son bureau et celui du chef.. Le chef était en effet assis derrière son grand bureau, le visage fermé, derrière des lunettes demi-lune... En train de lire une note... Toujours bien habillé le chef : costume bleu à petites raies blanches genre IBM Grande Epoque, chemise bleue à col blanc genre «Paribas Senior Banker», cravate de couleur sombre, genre Karl Lagerfeld période bleue. L’ensemble rendait bien... Très bien...
Il me regarda au-dessus de ses lunettes demi-lune, en se basculant en arrière sur son grand fauteuil de cuir marron : «Fermez la porte Billaut et asseyez-vous, je suis à vous dans quelques instants»...

Je me suis assis sur le bord du siège... Il n’y avait pas grand chose sur sa table de travail... Au plus, quelques piles de documents et de revues sur la grande table de réunion... C’est à cela que l’on reconnaît le bureau d’un vrai chef... Rien ou presque sur le bureau. Et un annuaire des anciens de l’école Polytechnique qui traînait négligemment sur l’armoire basse derrière lui...
Il continua sa lecture...  Mon stess augmentait...  Mes glandes surrénales continuait de produire des quantités importantes d’adrénaline...
Enfin, Monsieur Senouillet, se remit d'aplomb d’un coup de rein - les chefs ont aussi de très beaux coups de reins - en position normale sur son siège... pour griffonner quelque chose sur la première page de la note... J’eu une pensée émue pour l’auteur de la note... Il avait probablement dû oublié quelque chose... Heureusement quand même qu’il y a des chefs...

«Alors, me dit-il en reposant son beau stylo Mont Blanc, vous savez qu’il est interdit d’acheter un matériel en demandant au fournisseur d’établir plusieurs factures pour couvrir le prix de l’achat... ? Vous savez que c’est une cause de renvoi «de nos maisons» ?»... (on employait souvent cette expression grand siècle dans notre Groupe, vu que la Compagnie Bancaire était une collection importante de filiales...)

J’y étais ! Mon stress diminua d’un coup : je savais maintenant pourquoi il m’avait fait appelé... Mais le stress ré-augmenta aussitôt au mot «renvoi», le temps que les glandes surrénales se remettent à produire, et que l’adrénaline atteigne les neurones concernés...Et soudain, je me vis rentrer à la maison en annonçant à Madame Billaut que j’étais renvoyé pour faute professionnelle...

La comptable avait cafté !... J’avais en effet acheté de mon propre chef un Macintosh d’Apple quelques mois auparavant. Le Mac était sorti en 1984. J’en avais acheté un mi-1985. Comme en tant que Fondé de Pouvoir je n’avais la signature que jusqu’à 5.000 francs de l’époque, et que le Mac coûtait quelque chose comme 30.000 francs, le distributeur (un ami qui sortait avec une fille Servan Schreiber - vous savez le Plan Informatique pour Tous ?), le distributeur donc, avait accepté de saucissonner le prix en plusieurs factures... Au-dessus de 5.000 francs, il me fallait en effet une contre-signature du chef. Et avec juste raison, je pensais qu'il me l'aurait refusée (j'aurais certes pu demander à un autre chef, mais l'opération était compliquée...).

La comptable (qui fumait la pipe - une pipe en terre) avaient reçues les dites factures pour règlement. Et en avait parlé à mon chef...

Le chef continua de plus belle. «De plus, Billaut, ici on ne s’amuse pas. Les micro-ordinateurs que nous achetons sont des IBM PC et pas des «supports à pot de fleur» comme dit Michel Riboust, le directeur informatique du Cetelem (l’une de nos maisons)... Double faute Billaut..»

J'avais certes eu raison de ne pas demander de contre-signature.. mais je ne savais plus où me mettre... Je lui ai assuré de ma bonne foi et pour essayer de remonter la pente, je lui ai dit que j’allais lui transmettre sous peu un gros rapport sur le commerce électronique aux USA, rapport tapé par mes soins sur le Mac incriminé... Et pas par ma secrétaire sur sa machine à écrire à boule... Réflexion faite, je n’aurais pas dû faire cette sortie...

«Faute encore plus grave Billaut... On ne vous paye pas pour taper à la machine...»

Bref, après m’avoir passé un gros savon derrière ses lunettes demi-lune, il me dit de ne plus y revenir, et me renvoya dans mes foyers. Pardon dans mon bureau... Et en partant, quand j’ouvris la porte, il me dit d’un air goguenard (si tant est qu’un polytechnicien peut avoir un air goguenard)... «Rappelez-moi, Billaut de vous faire attribuer une prime de secrétariat !»...

Je n’ai jamais eu cette prime, mais j’ai gardé mon Mac. Et j’ai commencé à le montrer à mes collègues. Qui naturellement en ont tous voulu un... 1 an plus tard, 25% du parc de micro-ordinateurs de la Compagnie Bancaire étaient des Macintoshs, au grand dam des informaticiens normaux (de type 1.0).

Beaucoup plus tard j’ai revu à un pot Gérard Senouillet, qui depuis était parti à la retraite... On a évoqué quelques souvenirs... «Vous voyez Billaut, je vous l’avais dit pour le Macintosh, cela a été un grand succès dans «nos maisons» !".
De temps en temps, les petites gens doivent toujours rendre à César ce qui ne lui appartient pas...

Commentaires

Jean-Christophe Capelli

Aux riches heures de la BNP, il y avait une "prime de chaussure". Elle servait à indemniser le "garçon d'étage" de l'usure de ses souliers.

Sorte de coursier interne, le "garçon d'étage" ne ménageait pas sa peine pour porter en urgence les notes de service. Le mail a remplacé ce petit métier...

Billaut

@JC
je vois que tu as bien connu ce monde... on avait aussi des primes de chaussures à la Bancaire.. Pourtant on ne me l'a jamais proposé... On aurait pu avec tout les kms parcourus dans les shows américains, français et autres... On avait aussi d'autres trucs pas piqués des hannetons... Par exemple pour avoir des rideaux à la fenêtre il fallait être sous-directeur... etc...

D.VDA

Faites un recueil de ces petits récits, c'est éloquent et agréable à lire, tout celà sur une époque de pionniers qui sera bientôt historique !

Serge Toneiv

Pareil pour moi l'histoire du Mac et les bisbilles avec les informaticiens. Mais stop sur les polytechniciens, j'en suis un et ils ne sont pas tous caricaturaux !!

@Dwynot

Vue la conclusion, j'ai relu les propos du dit X.
Et la gravité de ses menaces jointes à sa sortie sur la prime de secrétariat m'incite à traduire ses propos par :
en tant que chef, je suis tenu de vous sermonner et de flanquer une belle frousse, en tant que chef je ne vous sanctionne pas, ...et j'ai meme un certain respect pour votre insolence administrative (finalement tu as gardé ton mac, ta place et ta carrière...).

Il n'en reste pas moins que nous avons tous entendu de spectaculaires revirements d'opinions de la part de soi disant visionnaires qu'ils soient X ou pas, chef ou pas.

David

Billaut

@Serge Toniev...
C'est vrai ce que vous dites... il y a des exceptions qui confirment la règle... Par exemple André Levy-Lang polytechnicien émérite... intelligence brillante, humanisme fort, avec qui ont pouvait discuter (ce qui n'est guère le cas avec d'autres spécimens) ... S'il n'avait pas été là .. C'est grâce à lui que nous avons pu créer l'Atelier... et que les DSI 1.0 ne m'ont pas viré. Mais il s'est fait estourbir par un mauvais énarque... J'ai aussi un copain X qui connait mon sentiment... Et avec qui j'ai de très bonnes relations...Il s'appelle Serguei Vladimirovitch Soudoplatoff.
Serge Toniev est votre vrai nom ?

Billaut

@Dwynot..
Les X certes, mais les plus dangereux sont les Enarques... Au plus fort de la bulle Internet, les Enarques de BNP-Paribas m'ont fait dire que "mon Internet" c'était fini... Daniel Bernard l'ex-patron de Carrefour... lui me l'a dit en face... Mais il n'a fait que HEC...

js loygue

delicious, malicious, encore..

Benoît

oui, encore encore sur la clairvoyance des nos élites ! j'adore !

Fibo

@JM: B-) Que ton boss du moment ait été un X est un simple fait, pas une cause ou une circonstance aggravante!

Nombreux étaient ceux qui en 85 ne connaissaient pas le commerce électronique, ou qui avant 81 et l'introduction du PC par IBM, ignoraient la révolution de la micro et, en "parallèle convergente", de la bureautique: cette évolution allait prendre une dizaine d'années.

Dans ces ignorants, je ne pense pas que les X aient été surreprésentés!

Amusant d'ailleurs de voir que dans tous les cas de progression forte d'un modèle d'ordinateur dans les entreprises, cela s'est généralement fait par les tableurs: pour les directions, l'intérêt des prévisions et simulations budgétaires dépassaient de loin les objections des informaticiens qui ont bien dû s'y plier.

Brice

Contes ...et décomptes.

"...un annuaire des anciens de l’école Polytechnique qui traînait négligemment sur l’armoire basse derrière lui... ".
Etre né sous "X" c'est trés justement ça.
C'est fort justement observé mon cher Jean-Mimi.
Et ils rédigent des offres de marché...qui ne s'adressent qu'à leurs copains de "promo". Jusqu'où va l'honnêteté dans le petit monde des affaires.

Et que dire de cet autre X, directeur à la SG (tu reconnaitras le sigle JM)qui, dans son antre de la prestigieuse agence du Blvd Saint-Germain à l'angle de la rue du Bac dans cette succursale en charge des "gros comptes" de la dite banque, qui eu l'appoint (un peu comme Senouillet) de me dire "...que ma fièvre Internet me passerait rapidement. Qu'il avait déjà entendu parler de ce nouveau terme informatique mais que ce n'était qu'une mode qui passerait vite."
Je quittais son bureau non en avoir tenté de lui présenter un business plan pour une exclusivité Yahoo et un dossier Netcom (Netscape) pour l'Europe et l'Afrique. Personne ne connaissait encore en France ces deux boites. Je quittais donc les bureaux de notre très compétent banquier avec sous le bras mes dossiers sans qu'il daigne y jeter un oeil. C'était Chic!!!(...son vrai nom mais façon libanaise.)
Cependant, je me demande si mon directeur de banque a eu le droit à la prime chaussure...
Aux dernières nouvelles il partagerait sa retraite en Vendée avec Senouillet, autour d'un bon pastis- ambiance T-shirt "Marcel"?
Je plaisante les gars !!!
No assholes there !!!

A l'époque, tu lançais tout juste notre cher Atelier.
Je rentrais de San Jose et du SuperComputer de UCSD.Cristelle Gheek..rentrait de NY.

Mon meilleur ami,un X de gros calibre. Il avait était racheté par les ricains pour être maitre de recherche dans leurs précieuses universités et les meilleurs labos. Phil (hip) connaissait l'avenir de l'Internet, un outil dont il se servait au quotidien avec quelques chercheurs. Ils sont tous devenus gurus dans leurs spécialités respectives et enseignent encore (pour certains) à nos jeunes digital natives.

Preuve que des eXperts existent bien aussi dans ces grandes écoles. Mais le ratio de génies par rapport au nombre de c... semble être le même internationalement.
1 pour...beaucoup de C...

On sait bien que si ils étaient si forts tous ces diplômés de grandes écoles internationales, la planète et ses habitants ne seraient pas au bord de l'asphyxie.

Bientôt la retraite en Haut Débit ... pour nous deux. On lâche pas Papy !!!

Billaut

@Salut Fibo.. je crois que je t'ai reconnu... mais je ne dirais rien à la presse...
Ce qui me navre dans tous ces affaires, c'est le manque d'appétence de la classe dirigeante de ce pays (X et autres)... Ainsi d'ailleurs que la nonchalence des gaulois de base... qui attendent leur bonheur sur cette terre de l'état et de l'Elite... Aucun n'a envie de se mettre les tripes sur la table pour avancer... Tu me diras que l'on a l'elite que l'on mérite... "ne vous demandez pas ce que l'état peut faire pour vous, demandez vous ce que vous pouvez faire pour l'Etat..." disait Kennedy..

Billaut

@Brice
hé oui c'est comme cela que cela fonctionne...
retraite où ? dans un bled ?

Fibo

@Brice: que la proportion de C parmi les X soit la même que dans toute autre population me paraît une évidence, que tu as raison de rappeler tant elle semble parfois oubliée.

Evitons toutefois d'avoir une boîte marquée "X" (ou tout autre "passé" du même genre) dans laquelle on place tous les X (pour la boîte X bien sûr), boîte qu'au gré de nos expériences nous affublerions également, ainsi cela va sans dire comme tout son contenu, de l'étiquette "génie" ou de l'étiquette "C...".

La vérité est, heureusement, beaucoup plus nuancée et moins caricaturale!

Cath Coste

Excellent ! Un cadre retraité de la BNP qui raconte comment les premiers "Mac" d'Apple sont arrivés à BNP. Accouchement dans la douleur ... Si vous écrivez vos "mémoires" fort vives (bouillonnantes, heum), j'ai écumé le salon du livre au printemps 2010 et ai quelques contacts tous frais tous neufs tous beaux à vous passer. Faites-moi signe si vous êtes intéressé, il suffit de me fournir une adresse e-mail ... Cath'Eric (Segui)

Billaut

@Cath...
quelques contacts dites vous ? avec des éditeurs 1.0 ? Pourquoi pas ?
Petite précision à l'époque où se passe l'aventure nous étions Compagnie Bancaire... Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes...
bises à qui vous savez...

Cath Coste

Editeurs 1.0 (euh, sans doute des contacts que vous avez déjà ?) :

Editions Autrement : ligne éditoriale : les acteurs de la société.
Marie-Pierre Lajot, éditrice. Elle est très sympa !
[email protected]

Robert Laffont : collection : "le monde comme il va", dirigée par
Michel Wieviorka, ou collection "Réponses", dirigée par Nathalie Le
Breton.

Editions du Seuil : ligne éditoriale : les problèmes de société.
Proposer un projet aussi avancé que possible.

Editions Plon (l'éditeur des politiques, plutôt orienté UMP). Ils
développent une nouvelle collection : "Tribune Libre", sur des sujets
comme "Google et la Chine".

Denoël (il faut envoyer un projet le plus abouti possible par e-mail
au service manuscrit)
Contact : Grégory Martin ou Claire Anouchian (je n'en sais pas plus,
les ai vus en toute fin de salon).

Albin Michel : essais -documents : Hélène Monsacré
[email protected]

Pour commencer ! ...
A bientôt !

Cath

Xavier Maury

Bon ben bon, Jean-Michel, tu t'y mets quand, à écrire / dicter / etc. tes belles histoires ?

J'ai aussi un "bon" éditeur à proposer (tu peux contacter la patronne, Dominique Gibert, de ma part) : Editions Diateino.

Et puisque tes oeuvres sont destinées à l'édification des grands et des petits, pourquoi ne pas les illustrer par des dessins ?

Anne

Je viens de lire (que dis-je de m'avaler) tous les contes : je n'arrive plus à travailler tellement je pleure de rire. Vivement les prochains. J'adore : le Mac, "support à pot de fleurs" ! Et la puce qui saute, non vraiment, impayable. Merci.
http://bit.ly/9UcHui

jeanpierrecorniou

Pour ajouter à la liste de ces incongruités qui nous ont coûté du temps voire nos places... au début des années 89 j’étais DGA de l’ANPE et j’avais la responsabilité de l’informatique et du budget... Noys devions changer notre machine Bull et j’ai i strait l’achat d’un DPS8. Je suis invité à m’en expliquer de ant le contrôleur d’Etat, représentant le budget dans les établissements publics. J’explique le dossier et, cinglant, le contrôleur d’Etat me dit : « mais pourquoi acheter un ordinateur si puissant alors qu’il y a maintenant le Minitel ? »

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